samedi 13 mars 2010

Chapitre 1

Les deux dernières fois où je suis partie en voyage, j'ai pris pour habitude de décrire les paysages et de noter mes impressions. Mais ce n'était pas tout à fait un carnet de route, car cela n'en avait pas l'immédiateté ni la précision. Aujourd'hui, alors que je m'apprête littéralement à m'exiler, à tout laisser derrière moi pour découvrir quelque chose de radicalement différent de ce à quoi j'étais habituée, alors que je m'apprête à délaisser mes habitudes et à inventer un nouveau quotidien, j'ai envie de garder en mémoire toutes les étapes de mon voyage. Au risque de formuler des banalités, je crois qu'un tel voyage est aussi un voyage intérieur. A l'heure qu'il est, je suis terrifiée à l'idée de tout quitter, même si j'en meure d'envie. Je suis très friande de recommencements. Un départ, c'est aussi un avènement. Si je souhaite partir, c'est parce qu'il est temps de clore un chapitre.
Je le sens, je le sais, au fond de mes tripes, je veux partir, de peur de ne pas réaliser ce que je suis. La plupart des gens que je connais n'ont pas envie de délaisser leur famille, leurs amis, et les endroits qu'ils connaissent et aiment. Je les comprends, et je respecte ça. Mais moi je ne veux pas passer ma vie à proximité de l'endroit où je suis née. Je n'ai pas envie, pas encore, d'un foyer, d'une ancre à laquelle m'amarrer. J'ai envie de me disperser, de me dissoudre aux points cardinaux, j'ai envie de boire la sève du monde. Cela prend du temps, mais je finis toujours par me sentir à l'étroit. J'ai vécu six ans à Rennes. Il reste bien d'autres choses à voir.
Je veux me mettre en danger. Je ne veux pas céder à la facilité, au confort. Je veux être sur la corde, en équilibre. Je veux devoir être lucide, consciente, pour rester en vie. Ne pas m'endormir sur des acquis, jamais. J'ai peur, oui, mais pour pouvoir me regarder en face, j'ai besoin de partir.

Album photo

Je comptais intituler ce paragraphe "Galerie des portraits", mais je ne sais pourquoi, l'idée d'un album m'évoque quelque chose de plus vivant, alors qu'une galerie, c'est une enfilade de tableaux figés dans l'éternité. Ma tête est pleine des images des gens que j'aime, de souvenirs comme de petits films à jouer dans ma salle de cinéma personnelle. Je rédige ce paragraphe pour livrer à la postérité les portraits de ceux qui vont me manquer. Cela n'intéresse personne, sauf les personnes concernées - et moi - ; cela pourrait sembler niais, mais cela fait partie d'un dessein plus grand - la Mémoire, la Grande Fresque de nos Vies, fanfares et trompettes, etc. Quand on part, la première chose à laquelle on pense, c'est à ceux qu'on quitte, c'est donc l'objet de ce billet.


Maloriel aime réaliser d'invraisemblables potions à base du plus grand nombre d'ingrédients possibles. Quand elle était petite, elle a lu La potion magique de Georges Bouillon et cela a changé sa vie. Depuis, elle confectionne des festins en jetant viandes, herbes aromatiques et légumes dans sa grande casserole, et régale ses convives aux sons de musiques barbares qui donnent envie de danser sur la table. Son chaudron lui sert aussi de laboratoire littéraire, elle aime jouer avec les mots et les contraintes, mélanger les genres et les époques. Elle possède des centaines de grimoires où puiser recettes et astuces, et quand sa formule est fin prête, elle nous captive avec ses mélopées fantastiques, nous hypnotise de ses rimes habiles, et peut même, si elle le désire, faire apparaître tout un monde à nos yeux ébahis.
C'est une enchanteresse, et dans ses caves elle conserve toujours des bouteilles d'élixirs variés, qu'elle délivre avec largesse ; démone, elle résiste toujours aux sommets de l'ivresse - elle en fait même des poèmes.
Depuis quelques années, elle partage son laboratoire avec un noble guerrier que l'on appelle Zankioh, un héros dilettante, auteur de hauts exploits dans tout le Multivers. Quand il ne livre pas d'épiques combats, c'est un compagnon agréable et silencieux, au regard clair comme l'eau dormante d'une mare, où vivent les songes.


On l'appelle souvent Maman Régina et elle dirige sa maison à la baguette. Alan en sait quelque chose : sans elle, on se demande comment il ferait pour nettoyer convenablement une assiette, ou penser à mettre le bon pantalon le matin.
Avoir Régina pour amie, c'est un peu comme avoir une bonne fée marraine. Elle n'oublie jamais votre anniversaire et elle ne porte jamais de jugement sur ce que vous faites. Elle se contente d'être là, de penser à vous et d'essayer de vous faire plaisir. On se demande ce qu'on pourrait souhaiter de plus!
Mais ce serait quand même une fée totalement barrée : une fée rock'n'roll, fan du Velvet Underground et grande amatrice de vin.
Régina, c'est aussi la fille que vous devez appeler si vous êtes sur le point de passer à côté du million : elle sait tout. C'est une encyclopédie vivante de la culture populaire. D'ailleurs, son père a même appartenu à la Compagnie Créole, c'est dire! *rires*¹.
Quant à Alan, c'est le meilleur compagnon de beuverie que vous pourriez trouver. Avec lui, l'entente est forcément parfaite ; entre confidences et délires, il est indispensable à toute fête qui se respecte. D'autant plus qu'à un moment indéfini, avec une subtilité certaine, il se transformera en une créature hybride, mi-homme mi-tonneau de vin, et que c'est une expérience unique et palpitante. Pendant le reste de la soirée, vous n'aurez d'yeux que pour lui, vous demandant avec effarement comment il tient encore debout, car justement, debout, c'est un terme tout relatif : ses yeux se ferment et il tangue comme un bateau en pleine tempête, mais si vous lui proposez une balade en bord de mer, il viendra. Car ce qui compte avant tout, pour Alan, c'est de passer une bonne soirée en votre compagnie. Si c'est pas un ami, ça...


Engleek, comme son nom l'indique, est à la fois geek et anglais. Cela peut sembler terrifiant, et en un sens, ça l'est : il sucre son thé tout en vous parlant dans un langage plein de bips, de zéros et de uns. Il est complètement fou, mais ce n'est pas étonnant : son père, c'est une sorte de Bernard Lavillier², et puis, pour un Anglais, survivre en France est un boulot à plein temps.
Engleek a des yeux de chat, des yeux absolument magnifiques, et quand il s'en va de chez moi pelotonné dans son manteau et l'air tout triste, il est tellement adorable que j'ai envie de lui dire de revenir. C'est une espèce de preux chevalier, quelqu'un qui a un vrai code de l'honneur et qui essaie toujours de s'y tenir. Il se bat génialement avec, en guise de bouclier, un enjoliveur. Il n'arrive jamais chez vous sans une bouteille de bière maison et il donne gratuitement des cours d'informatique.

En temps normal, j'ai besoin de vos supers pouvoirs conjugués pour survivre. Ce serait sympa si vous pouviez vous entraîner, d'ici mon départ, afin que je puisse en profiter même à distance. Je pense qu'en alliant vos capacités spéciales, on devrait y arriver : Engleek n'a qu'à créer un programme qui permettrait de stocker vos compétences sur le réseau, comme ça, je pourrais les télécharger instantanément en cas d'attaque de cafards.

¹ A ne pas prendre pour argent comptant.
² http://www.youtube.com/watch?v=9i3aD_toF9s

5 commentaires:

  1. C'est super mignon ! Et ça décrit très bien toutes les personnes :)

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  2. Je te comprends en tout cas dans ton désir de partir, de ne pas construire un foyer tout de suite etc. Je me dis la même chose même si je n'ai pas encore eu le courage de faire ce pas.
    Sinon, j'aime beaucoup l'image de Mal', je ne la voyais pas comme ça, mais après réflexion, pourquoi pas… :P

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  3. Merci...tu vas me manquer...enfin, vous allez me manquer!
    je vais commencer l'entrainement cérébral pour te transmettre des bonnes ondes !

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  4. Zankioh.dextra28 mars 2010 à 17:43

    C'est quoi mon pouvoir ? Je peux créer des marres géantes qui vous suivent partout pendant plus d'un an? C'est trooooop cool !
    Je demanderais a dieu d'écarter l'atlantique en deux pour un week end, comme ça on pourra se voir ! :D
    Revenez vite !! ( Vous avez intérêt :'( )

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  5. Des... marres? En voilà une drôle d'idée! Par contre, l'idée que tu puisses écarter l'Atlantique en deux me plaît beaucoup. J'imagine la tête des gens, tandis que Mathias et moi on vous attendrait, super classes, en haut d'une digue. Et tout le monde nous regarderait, ainsi que la mer, bouche bée, jusqu'à vous voir arriver, nonchalants, au milieu de l'eau. Trop bien!

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